> Les dons des AVD
Une brève histoire des dons des Amys du Vieux Dieppe au musée municipal
par Pierre ICKOWICZ,
Conservateur en Chef du Château-Musée de Dieppe.
Histoire des acquisitions
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Amys du Vieux Dieppe ont activement soutenu la politique d’acquisition de la ville pour le musée, en achetant des oeuvres sur le budget propre de l’association, ces oeuvres étant ensuite reversées sous forme de don à la ville pour être inscrites sur les inventaires du musée.
Dans un cas précis, et relativement récent, l’association a adjoint ses efforts à ceux de la Ville de Dieppe, afin de permettre l’acquisition d’un des chefs-d’oeuvre de la collection de natures mortes de poissons dont le musée s’est fait une spécialité : le grand tableau de Peter Boel en 1995, pour lequel les Amys du Vieux Dieppe reversèrent une participation à la ville.
Parmi les formes d’enrichissement qu’il faut compter à l’actif de l’association, citons le rôle que purent prendre à titre individuel certains de ses membres. En effet, dès la création de l’association en 1912 (soit bien avant qu’elle ne prenne une part active et régulière dans son soutien au musée, à partir de 1949), Léon Poussier donnait deux plaques d’ivoire et un tableau. En 1913, Camille Coche et Costa de Beauregard suivirent son exemple, ainsi que Georges Lebas en 1914 qui n’assurait pas encore sa triple fonction de conservateur du musée, de la bibliothèque et de président de l’association. Rendons grâce cependant à Camille Coche d’avoir donné au musée, dès avant la création de l’association en 1912, plusieurs objets ou séries d’objets.
Trois autres membres donnèrent à titre personnel dès l’après-guerre et jusqu’en 1990. Il s’agit de Henri Guibon, Rochaix-Cahingt, et Henri Cahingt. Du premier, le musée retiendra surtout, outre une pièce de jeu d’échec, l’immense documentation thématique sur l’histoire de Dieppe qui a enrichi considérablement tout nos dossiers historiques d’oeuvres et d’artistes. Le deuxième amena au musée la maquette de la Dauphine, nef sur laquelle Verrazano découvrit la baie de New York. Cet objet est aujourd’hui devenu emblématique des collections de marine et du glorieux passé de Dieppe au XVIème siècle. Enfin, Henri Cahingt donna en 1990 sa précieuse collection de relevés de graffiti de bateaux et autres figures, collectée dans la région dieppoise et toute la Seine-Maritime, devenue aujourd’hui une collection de référence pour l’archéologie maritime.
Les dons de l’association furent réguliers entre 1949 et 1954. On note ensuite une interruption jusqu’en 1966, date de l’arrivée de Pierre Bazin au poste de conservateur, qui relance ce mode d’achat complémentaire aux grandes acquisitions de la ville subventionnées dans la plupart des cas par l’État. Rares sont les années où les Amys du Vieux Dieppe – Amis du Musée ne figurent pas en tant que donateurs sur l’inventaire. Citons à ce titre la seule année 1975. Pour d’autres années, jusqu’à douze acquisitions différentes purent intégrer les collections du musée.
Ces dons, s’ils ne figurent pas toujours parmi les grands chefs-d’oeuvre de la collection, l’ont enrichie par leur diversité au point d’affirmer le caractère généraliste du musée de Dieppe, riche dans tous les domaines de la création, mais conservant des axes thématiques forts liés à son histoire : la mer et les ivoires.
Si l’on examine maintenant les domaines dans lesquels l’association s’est plus particulièrement engagée, il apparaît que les ivoires constituent le domaine principal des acquisitions des Amys du Vieux Dieppe.
Ivoires
Les quarante-cinq acquisitions de ce domaine représentent plus de soixante-dix objets, petits ou grands, certains issus de productions en séries(1), auxquels on peut associer les objets en os -matériau moins précieux- mais qui peuvent pourtant témoigner de l’habileté de l’artisan qui les a façonnés.
D’autres, d’une plus grande valeur, ont trouvé place immédiatement dans les vitrines du musée, comme par exemple le cadran solaire de Charles Bloud (deuxième moitié du XVIIème siècle) donné en 1951, la tabatière ovale illustrant la légende de Neptune et Hercule (don 1969), les groupes et portraits par Pierre Graillon au XIXème siècle, le groupe d’Apollon et Daphné de Belleteste (don 1993).
Une certain nombre de christs et crucifix, des pièces de jeux (jonchets, échecs), et autres statuettes religieuses figurent dans cet inventaire.
En terme de datation, les objets s’étagent du XVIIème au XXème siècle. Plus tardive que le cadran de Charles Bloud, une boîte octogonale à motifs de triton et d’éléments décoratifs évoquant distinctement la mer (coquillages, animaux marins), donnée en 1997, remonte sans doute à la fin du règne de Louis XIV. Des oeuvres du XXème siècle, aujourd’hui révolu, et dont les productions revêtent désormais un caractère patrimonial, ont pu intégrer notre collection grâce à la qualité de leur exécution : un Christ de Félix Souillard et une défense de son aïeul Georges en 1998.
Les ivoiriers en activité ont aussi permis au musée d’acquérir une partie de leur outillage ancien, hérité de l’atelier familial, nécessaire pour faire comprendre au public du musée le savoir-faire et la dextérité des ivoiriers dieppois dans l’utilisation des râpes, gouges, ciseaux, burins et foreuses à archet. La minutie était possible grâce à la loupe ou boule de verre, cédée par l’atelier Colette en 1966.
On a trop tendance à limiter l’artisanat d’art dieppois ancien à la sculpture sur ivoire. Les textes anciens nous rappellent, lorsqu’on s’y réfère, qu’on travaillait dans notre ville « l’os de baleine, l’écaille de tortue, la nacre, le coco, etc. ». Ces objets sont peu présents dans nos vitrines, et il se peut que certains d’entre eux ressortent prochainement. Trois ont été donnés par l’association sans que l’on puisse certifier pour autant qu’ils aient été sculptés à Dieppe : un bas-relief ovale en nacre, provenant peut-être d’une broche, (donné en 1970), une gourde en noix de coco gravée et étain (en 1972), et une noix de coco gravée (en 1999).
Dans le domaine de l’ivoire, on ne peut ignorer la spécialité des cadraniers, qui produisirent des objets parmi les mieux vendus au XVIIème siècle. Ils représentent aujourd’hui l’ivoirerie dieppoise dans de nombreux musées en France et à l’étranger, grâce aux fameux cadrans solaires portatifs en ivoire, baptisés souvent « cadrans à boussole ». L’un de ceux conservés aujourd’hui au musée de Dieppe provient des dons de l’association, mais cette dernière a pu acquérir aussi un objet bien plus rare : un anneau solaire signé Jean Bloud, daté de 1703.
Dessins
Parmi les très nombreux dessins (119 feuilles et deux carnets de dessins), dont on comprend qu’ils soient des acquisitions à la portée de notre budget associatif, on compte principalement des vues de Dieppe, mais aussi une petite part d’iconographie régionale (le château d’Arques, par un anonyme anglais). Le rôle des artistes anglais dans la région est d’ailleurs à souligner, tant dans la peinture que dans les estampes ou le dessin. Ainsi, 18 feuilles peuvent être attribuées avec certitude à l’école anglaise dont les représentants ont largement fréquenté notre ville au XIXème siècle.
Outre les divers plans ou vues de Dieppe à différentes époques, qui constituent un fonds documentaire remarquable sur l’histoire de la ville en complément du non moins riche fonds ancien de la Médiathèque municipale Jean Renoir, on compte un rare ensemble de 15 dessins des navires corsaires de Dieppe au XVIIIème siècle, illustrant par les commentaires manuscrits qui leur sont associés, la fortune aléatoire de cette activité du port.
Nos dons de dessins portent également sur la période contemporaine. Des artistes vivants exposés au musée, l’association a parfois acquis des pièces complémentaires aux dons consentis par les artistes eux-mêmes, comme certaines esquisses (Horsfield, Falaises du Pollet).
Estampes, cartes postales
Avec six cartes postales, deux affiche et affichette, des lithographies du XIXème siècle parmi lesquelles on trouve le nom de Garneray, le côté documentaire l’emporte. Mais sans exclusive, puisque les estampes de Sylvia Gosse en 1985, puis d’Alix en 2000, sur le thème des natures mortes de poisson, sont venues s’ajouter à cet ensemble.
Peintures
Si l’enrichissement de la collection de peintures s’effectue essentiellement grâce au budget communal, ce domaine figure parmi les plus importants des acquisitions des Amys du Vieux Dieppe. Douze peintures sont ainsi entrées au musée, ainsi que dix aquarelles illustrant là encore les différents aspects de la ville et de son histoire. Quelques thèmes plus purement maritimes s’affirment dans cet ensemble : Le naufrage du Victoria, sur les roches de l’Ailly en 1887, par De Broutelles, la Vague par Émile Breton, et pour des sujets plus balnéaires : L’orchestre au Casino de Sylvia Gosse, ou les Enfants sur la plage par Moïse (vers 1945-1950, don 1976).
Toutes ces oeuvres ont été exécutées par des artistes ayant fréquenté notre ville ou notre région.
Marine, maquettes de bateaux et dioramas
Les huit maquettes de navire données au titre des collections de marine rappellent, si cela était nécessaire, qu’au-delà des collections des beaux-arts, le musée de Dieppe est celui d’une ville portuaire et que son patrimoine est aussi celui des populations vivant de la mer. L’hommage qui leur est dû, ainsi qu’aux marins de l’histoire plus lointaine, dont l’activité corsaire a nourri la ville pendant plusieurs siècles, est ainsi respecté. En témoignent dans les dons de l’association deux sabres de marine, une hache d’abordage, la maquette de l’Adolphe, lougre corsaire fabriqué dans les chantiers Cointrel de Dieppe sous le Premier Empire, et la série de dessins des bateaux corsaires, citée plus haut dans un souci classificateur par genre, qui ne doit pas faire oublier que l’histoire et l’humanité ne se catégorisent pas si facilement qu’on serait tenté de le croire.
Plus pacifiquement, on pourrait citer les maquettes de chalutier, le matériel de calfat ; mais aussi un ex-voto qui rappelle que guerrier ou travailleur, l’homme en mer confie à son navire sa vie et les ressources des siens.
Verrerie
Parce que le musée de Dieppe est ouvert aussi au régionalisme, la verrerie régionale, de la vallée de la Bresle notamment, a trouvé sa place dans nos vitrines avec le très beau poisson en verre donné en 1983.
Sculpture
On doit aux Amis du musée un nombre important de statuettes en terre cuite des Graillon père et fils, qui ont bénéficié d’un réaménagement récent ainsi que d’un riche ouvrage publié par l’association. Fourdrin a aussi vu ses oeuvres beaucoup mieux représentées dans les collections du musée par le même intermédiaire (huit statuettes données), et il faut remercier Claude Féron d’avoir su rassembler les quelques informations que nous possédons sur son état civil aujourd’hui. Depuis peu, deux statuettes d’Eugène Blot (pêcheur dieppois et sa femme) ont rejoint l’unique oeuvre de ce sculpteur présente jusqu’à ce jour au musée(2).
Les sculpteurs contemporains, Dorny et Irène Zack, sont aussi présents dans les dons de l’association.
Archéologie, histoire locale
Quelques objets d’archéologie et d’histoire locale ont rejoint les collections grâce aux Amys du Vieux Dieppe. Il faut noter l’inscription funéraire d’Aymar de Manneville en marbre noir (MD 3812), un mortier de pierre, un lion sculpté en bois ayant orné une rampe d’escalier, dont on peut souhaiter qu’à l’avenir plus une seule ne quitte les maisons de Dieppe, mais dont il faut remercier l’association d’avoir permis au musée d’assurer son maintien dans le patrimoine de la commune. Un dévidoir de dentellière rappelle la fondation de bienfaisance qui donna à de nombreuses jeunes filles un savoir-faire utile, et assura une réputation indéniable à Dieppe, parmi les villes de dentelle en Normandie.
Outre les souvenirs du passé balnéaire de la ville, une lettre de Camille Saint-Saëns vient rappeler que la collection du compositeur est omniprésente dans tous les domaines du musée. Il aurait été curieux de constater que les Amys du Vieux Dieppe n’eussent apporté leur contribution à ce musée dans le musée.
L’inventaire à la Prévert ne s’achèverait pas sans quelques surprises. Parmi les chaufferettes, moules à beurre, soufflets, raviers et seau à brai, un uniforme de Suisse et un diorama dans une coquille de crabe terminent la liste.
NOTES :
(1) Voir P. Ickowicz, « Modèles et séries dans l’ivoire, art, artisanat et industrie d’un matériau précieux à partir des collections du Château-Musée de Dieppe », in Le bois, l’os, la corne, l’ivoire, la nacre, aspects de la tabletterie en France, éd. AGIR-Pic, 2001, p. 19-27.
(2) Abraham Duquesne, terre cuite, provenance inconnue